Le Nouveau
Monde

1534
1760

Terre d’espoirs et d’opportunités

Entreprendre. Se lancer. Y aller.
Traverser, contre vents et marées.

Entreprendre, de tous temps, c’est ça : prendre des risques.
C’est affronter le connu et l’inconnu.
Ce n’est pas faire fi du péril, c’est comprendre que la vie doit être saisie.

Arrivée de Cartier à Stadaconé en 1535. Louis-Félix Amiel, 1850.

Dans la France du XVIIe siècle, pour la plupart des gens, la vie n’est qu’épidémies et guerres. Pour quelques rebelles qui refusent ce destin plombé, il n’y a pas désir plus vif que de repartir à neuf… au Nouveau Monde.

Le péril du voyage est à la mesure de la promesse : marins et passagers sont hantés par les pirates sanguinaires et les requins affamés. Le fait est que la moitié des navires fait naufrage avant de se rendre en Nouvelle-France.

Entreprendre n’est pas sans danger. Aujourd’hui, plus de la moitié des entreprises ne passe pas le cap des cinq ans d’existence. D’où l’importance de s’inspirer des entrepreneurs du passé, de connaître leurs succès et leurs échecs, pour nous aider à tracer notre propre chemin.

Un trois-mâts aux armoiries d’Amsterdam, avec d’autres navires, dans une tempête. Ludolf Bakhuizen, 1700.

L’arrivée de Champlain à Québec. Henri Beau, 1903.

Le visionnaire

Charles Aubert de la Chesnaye

1632
1702

Premier millionnaire de la Nouvelle-France

Ambitieux, prêt à risquer le tout pour le tout, Charles Aubert de La Chesnaye trouve un monde à sa mesure – et à sa démesure – en Amérique.

Dès son établissement en Nouvelle-France en 1659, Charles Aubert joue un rôle central dans la vie économique de la colonie. Il s’impose à la tête du commerce des fourrures et devient propriétaire de 21 seigneuries ainsi que d’une flotte importante qui assure le transport des ressources entre la Nouvelle-France, les Antilles et l’Europe.

Premier millionnaire d’Amérique, il a pourtant fini sa vie dans la pauvreté.

Qu’est-ce qui a fait tomber cet homme plus grand que nature?
UN JEUNE HOMME INSTRUIT

Charles Aubert de La Chesnaye naît dans la ville d’Amiens, en Picardie, le 12 février 1632. Toute sa vie, il décrira ses parents comme « honnêtes et pauvres » bien qu’ils appartiennent à la bourgeoisie. Ils veilleront à l’instruire, fait rare à l’époque.

Vue générale de la ville d’Amiens. Jean-Baptiste Lallemand, fin du 18e siècle.

Le jeune Charles Aubert est initié à la géographie, à l’économie, au commerce et à la navigation. Jeune homme, il est déjà à l’affût d’occasions d’affaires.

Garçon lisant à la chandelle. Matthias Tom, v. 1630-1655.

Ses multiples connaissances seront déterminantes dans son parcours entrepreneurial.

D’ENGAGÉ À 
SEIGNEUR

En 1655, à tout juste 23 ans, Charles Aubert embarque à bord du Patriarche Abraham pour traverser l’Atlantique. Représentant des marchands de Rouen, regroupés au sein de la Compagnie des Cent-Associés, il a pour mission d’enquêter sur le gouverneur Jean de Lauson, soupçonné de corruption. Ce dernier méprise les colons et s’accapare du commerce des fourrures aux dépens des marchands et des habitants.

Il démasque le félon et devient l’homme de confiance des marchands de Rouen.

Charles Aubert de La Chesnaye est désormais agent officiel des marchands de Rouen : il acquiert les meilleures terres disponibles à Québec, à Beaupré et sur l’île d’Orléans.

L’homme d’affaires devient rapidement le plus grand propriétaire foncier de la colonie en faisant l’acquisition de 21 seigneuries.

Carte du gouvernement de Québec. Gédéon de Catalogne et al., 1921.

Son empire s’étend de Montréal jusqu’à la baie des Chaleurs.

Québec comme il se voit du côté de l’Est. Jean-Baptiste Franquelin, 1688.

En 1663, Jean Bourdon dessine une carte montrant Québec et ses quelques maisons, entrepôts et magasins. Charles Aubert sera un des plus grands artisans de la vocation commerciale de la ville.

Véritable plan de Québec fait en 1663. Jean Bourdon, 1663.

MARCHAND DE FOURRURES

À 31 ans, Charles Aubert s’impose à la tête du marché des fourrures. En 1663, après 13 jours de féroce concurrence, il mise la fortune de 46 600 livres et remporte une enchère lui concédant pour 3 ans le monopole de la traite de la Ferme de Tadoussac, seule entreprise autorisée à expédier les fourrures en France.

L’évolution du chapeau en fourrure de castor. Horace T. Martin, 1892.

Les profits engrangés seront colossaux.

GRAND ARGENTIER DE LA COLONIE

Charles Aubert est désormais auréolé du titre de grand argentier de la colonie. Il finance les dépenses publiques et prête à la communauté, se méritant le respect général.

Les traces de l’éducation d’administrateur qu’il a reçu sont évidentes : il négocie sans fléchir, connaît le calcul et la valeur des monnaies dans le monde. Les rapports qu’il envoie à la Compagnie des Cent-Associés sont concis et clairs. Son écriture, toute en courbes, est lisible, magnifique.

Mais les excès de générosité et les erreurs stratégiques compliquent son parcours.

Monnaie de carte de 50 livres – reproduction. 1714.

LE VENT TOURNE

En 1670, les chapeaux de castor ne sont plus à la mode : la demande en fourrures diminue et les prix baissent considérablement. L’économie de la Nouvelle-France et la fortune de Charles Aubert sont en péril.

Entêté, il refuse de se résigner et devient armateur dans l’espoir de relancer le marché des fourrures.

Charles Aubert de La Chesnaye se lie avec Pierre-Esprit Radisson, explorateur et commerçant de fourrures, dans l’espoir de ranimer le marché de la baie James. Rien n’y fait, ses affaires périclitent.

Dans la seule année 1678, il perd le tiers de ses avoirs.

QUÉBEC BRÛLE

Au mois d’août 1682, un terrible incendie détruit la basse-ville de Québec. Grâce à leurs toits en ardoise, les bâtiments de Charles Aubert restent debout. Il épuise alors ce qu’il lui reste d’argent liquide pour financer la reconstruction de la ville et aider ses concitoyens.

L’Incendie du quartier Saint-Jean à Québec, vu vers l’ouest. Joseph Légaré, v. 1845-1848.

L’ATTAQUE DE PHIPS

À cette catastrophe s’ajoute la menace d’une attaque des Bostonnais. Charles Aubert doit vendre des fusils aux habitants qui, sans le sou, le paient avec du blé, des pois, de la farine ou du cochon salé.

L’argent fuit de partout

Québec ville de l’Amérique septentrionale dans la Nouvelle France. Nicolas De Fer & Robert de Villeneuve, 1696.

Défense de Québec par Mr. de Frontenac. Rouargue frères, 1846.

À la mi-octobre 1690, les Bostonnais approchent de la ville de Québec. Alors âgé de 58 ans – ce qui est respectable à l’époque –, Charles Aubert risque sa vie en se rendant lui-même au-devant des navires français pour les mettre à l’abri dans le Saguenay. L’amiral William Phips canonne Québec du 18 au 21 octobre 1690. Les armes fournies par Charles Aubert permettent aux Canadiens de se défendre et de triompher des troupes de Phips.

Québec est sauvée.

LE SAUVEUR DE LA NOUVELLE-FRANCE

Le 24 mars 1693, le roi Louis XIV accorde ses lettres de noblesse à Charles Aubert de La Chesnaye pour ses actes de bravoure et sa contribution à l’essor de la Nouvelle-France.

Malgré cette reconnaissance, Charles Aubert de La Chesnaye ne parvient pas à refaire sa fortune.

Le manoir du faubourg Saint-Roch. James Pattison Cocburn, 1829.

Le premier millionnaire de la Nouvelle-France meurt pauvre et perclus de dettes le 20 décembre 1702 à l’âge de 70 ans.

Charles Aubert de La Chesnaye est inhumé dans le cimetière des pauvres de l’Hôtel-Dieu de Québec. Il laisse dans le deuil une veuve de 41 ans, qui doit soutenir seule huit enfants dans des conditions extrêmement précaires.