La
Conquête

1760
1867

d’une identité et de territoires inexplorés

Le traité de Paris, signé en 1763, reconnaît la victoire des Anglais et transfère toute la Nouvelle-France sous contrôle britannique.

La défaite est cuisante, mais de nombreux « habitants » sont… soulagés.

C’est aussi la fin des guerres. Plusieurs décident de créer de nouvelles alliances.

Désavantagés par rapport aux Britanniques qui prennent le pouvoir, les Canadiens – c’est ainsi que l’on nomme les Français du Canada – devront se frayer un chemin, à la dure, contre vents et marées.

Traité de Paris. Imprimerie royale, 1763.

Le Débat sur les langues. Charles Huot, v. 1910-1913.

L’ÉCRIVAIN

Philippe Aubert de Gaspé

1786
1871

Celui qui fait mentir Lord Durham

Dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli, cet avocat en vue et shérif du district de Québec a connu plusieurs échecs financiers, la déchéance et la prison avant d’accéder à la postérité. 

Comment celui qui a fait mentir Lord Durham y est-il arrivé?

Des valeurs françaises, une éducation anglaise

Avocat de formation, cofondateur de la Société littéraire de Québec et époux de la « belle des belles », l’Américaine Suzanne Allison, le dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli a fait de sa vie un véritable roman.

Philippe-Joseph Aubert de Gaspé. Pierre-Narcisse Hamel, 1879.

L’enfance de Philippe Aubert de Gaspé se déroule à la fin du Régime français à Saint-Jean-Port-Joli. La famille Aubert de Gaspé vit humblement dans le moulin seigneurial, seul bâtiment habitable depuis l’incendie qui a consumé le manoir pendant la guerre de la Conquête, en 1759.

Saint-Jean-Port-Joli – Manoir de Gaspé. E. Mercier Cacouna, v. 1980.

Il grandit à Québec, se passionnant très jeune pour la littérature française. Inspiré par ses ancêtres Charles Aubert de La Chesnaye et Madeleine de Verchères, il continue de s’imprégner des valeurs et des coutumes canadiennes-françaises transmises de génération en génération. 

Mais pour accéder à un avenir radieux, Philippe doit s’intégrer à l’élite britannique désormais au pouvoir. Dès 1795, son père l’inscrit à une école anglaise privée. Après son cours classique au Petit Séminaire de Québec, il reçoit une formation en droit au cabinet de Jonathan Sewell, l’avocat le plus réputé de la ville de Québec.

Maison Sewell, 87, rue Saint-Louis, Québec : vue d'ensemble. Luc Noppen, 1975.

LA BELLE DES BELLES

Suzanne Allison, Mme Philippe Aubert de Gaspé. v. 1847.

Fille d’un militaire écossais et d’une mère canadienne, Suzanne Allison est considérée comme la plus gracieuse jeune fille de Québec. Dès son accession au Barreau en 1811, Philippe demande sa main.

Celle que le jeune homme romantique surnomme la « belle des belles » lui donnera neuf fils et quatre filles.

Un être à part

Philippe Aubert de Gaspé est nommé shérif du district de Québec en 1816. À 30 ans, il doit veiller au maintien de la paix : il nomme les jurés, fait exécuter les jugements, procède aux arrestations et perçoit les amendes. 

Le jeune avocat se distingue dans la bonne société. En plus d’avoir fondé la Société littéraire de Québec durant ses études, il est membre fondateur du Jockey Club de Québec et de la Banque de Québec.

François-Guillaume Andrieux faisant une lecture au foyer de la Comédie Française, Salon de 1847. François-Joseph Heim, 1847.

Ce charmeur original vit au-dessus de ses moyens. L’élite de Québec raffole des soirées qu’il organise chez lui. On y lit de la poésie et des romans français à haute voix.

La tradition veut qu’à l’époque où il résidait au manoir seigneurial, il se soit donné pour mission d’instruire ses enfants et même ceux du voisinage.

Danse au Château Saint-Louis. George Heriot, 1801.

UN SHÉRIF HORS-LA-LOI

En 1820, Philippe est lourdement endetté par des investissements immobiliers; des créanciers le pourchassent. Son père, Pierre-Ignace Aubert de Gaspé, le déshérite. Il protège ainsi la seigneurie pour les générations futures.

L'Honorable Pierre-Ignace Aubert de Gaspé. 1879.

En 1822, le juge Jonathan Sewell, celui-là même qui l’a formé au droit, le démet de sa charge de shérif et l’accuse de détournement de fonds.

« Du jour au lendemain, celui qui brillait au sommet de la bonne société de Québec devient un hors-la-loi, presque un paria. »

— Claude La Charité, historien

Monnaie du Bas-Canada. Billets de trente sous et d’un écu. v. 1835.

En 1826, une enquête conclut que Philippe Aubert de Gaspé doit rembourser la somme de 1 974 livres, ce qui représente près de 20 fois son revenu annuel. 

Grâce à ses bonnes relations, il gagne du temps.

Mais le 29 mai 1838, le jour même où Lord Durham arrive au Bas-Canada, Philippe Aubert de Gaspé est arrêté et incarcéré à Québec dans la prison dont il avait eu la charge.

Morrin College – Vue éloignée de la façade et du profil droit. Thaddée Lebel, v. 1930.

La prison sur la rue Saint-Stanislas. James Pattison Cockburn. v. 1830.

Pendant ses trois ans d’enfermement, il ne reverra personne de sa famille.

TROUVER SA VOCATION... EN PRISON

Profondément marqué par la mort de son fils aîné en 1841, qu’il n’aura jamais revu, Philippe se met à l’écriture. 

Dans son roman Les Anciens Canadiens, le détenu évoque ses enfants si proches et si loin de son cachot.

Les Anciens Canadiens. Philippe Aubert de Gaspé, 1863.

« [...] je n’en étais séparé que par la largeur d’une rue. Je voyais pendant de longues nuits sans sommeil, écrit-il, le mouvement qui se faisait auprès de leur couche, les lumières errer d’une chambre à l’autre; je tremblais à chaque instant de voir disparaître ces signes de vie [...] »

Les Anciens Canadiens. Philippe Aubert de Gaspé, 1863.

Se réinventer à l’âge d’or

À 70 ans, il entame la rédaction du roman Les Anciens Canadiens, où il évoque la vie en Nouvelle-France, les divisions fratricides provoquées par la guerre de Conquête, les traditions et les légendes du pays, y compris le drame de la Corriveau. Il est âgé de 74 ans lorsque son premier roman est publié. L’ouvrage connaîtra une trentaine de rééditions.

Philippe Aubert de Gaspé. Auteur des Anciens Canadiens. Wilson & cie, v. 1882-1884.

Philippe Aubert de Gaspé se lance dans la rédaction de ses mémoires, complément essentiel de son premier roman, dont il offre plusieurs clés.

Mémoires. Philippe Aubert de Gaspé, 1885.

Le 29 janvier 1771, le père des romanciers québécois rend l’âme. Admiré par la population qui voit en lui un témoin de son histoire, le dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli a su se réinventer au soir de sa vie pour fonder une littérature.

Et faire mentir Lord Durham.