Le
Québec Inc.
À la conquête du monde
À l’aube des années 1960, un grand vent de changement souffle.
Le Québec sort de la Grande Noirceur duplessiste et des diktats religieux.
Mais la plupart des grandes entreprises québécoises sont toujours aux mains des anglophones. À une époque où un Canadien français parfaitement bilingue doit se contenter, au mieux, d’un emploi de contremaître, une nouvelle génération s’élève et scande : « Maîtres chez nous! »
Tout devient possible. Même la conquête du monde.
Le communicateur
Philippe II de Gaspé Beaubien
Celui qui va au-delà
Maire d’Expo 67, le fondateur de Telemedia a connu une réussite dans le monde des communications qui défie l’imagination. D’un océan à l’autre, il a été tentaculaire, acquérant journaux, magazines et stations de radio; bâtissant rien de moins qu’un empire médiatique. Pionnier de la télévision par satellite et de la téléphonie cellulaire, il a été visionnaire et moteur de changement.
La clé de son succès? La rencontre de son « âme sœur », Nan-b O’Connell, une brillante Bostonnaise.
À deux, rien ne sera impossible.
Sur les épaules
des géants
Philippe de Gaspé Beaubien II est né le 12 janvier 1928 à Outremont. Il est l’aîné d’une famille de six enfants. À 12 ans, le jeune adolescent perd sa mère, Lucille Mercier. Son père Philippe, I’homme d’affaires prospère très impliqué dans sa communauté, trouve refuge dans l’alcool.
Philippe trouve du réconfort dans les histoires que lui racontait son arrière-grand-mère Suzanne-Lauretta Stuart, que tous surnomment Mamère. Cette descendante de Charles Aubert de La Chesnaye et de Philippe Aubert de Gaspé lui insuffle une véritable passion pour la généalogie et l’histoire.
UNE VOCATION... POUR LES AFFAIRES
Son père est organisateur pour le Parti libéral dans le comté d’Outremont. Les grands hommes politiques passent chez lui, dont Louis St-Laurent et Mackenzie King. Philippe est premier de classe, commandant du corps de cadets et vice-président des Jeunesses étudiantes catholiques.
« J’avais à l’intérieur de moi, un désir d’exceller et d’avoir l’approbation de mon père. Ce que je n’ai jamais eu. Jusqu’au moment de sa mort, j’étais à son lit d’hôpital tous les jours, et jamais il ne m’a dit qu’il m’aimait. C’était à l’intérieur de moi, ce désir de me dépasser. Mais si tu veux savoir la vraie raison, c’est que je voulais que mon père me dise : “Tu as fait une bonne job. Je suis fier de toi.” »
À une époque où les jeunes hommes de bonne famille vont vers le droit ou la médecine, il sait qu’il sera entrepreneur. Une vocation encore très mal perçue au Québec.
EN CANOT, COMME SES ANCÊTRES
À 18 ans, inspiré par le courage et la ténacité de ses ancêtres, il effectue un voyage en canot jusqu’à New York. Parti de Montréal, il traverse le lac Champlain et le lac George. Plus de 600 km en 12 jours!
Les journaux allaient signaler l’exploit. Un moment qui définit l’homme : autant sa détermination que son flair pour les médias.
« Je voulais qu’il y ait un article dans un journal pour que mon père voit que j’avais réussi à me rendre à New York. Parce que sans ça, il ne l’aurait pas su. Je n’étais même pas certain qu’il savait que j’étais parti. »
AU HARVARD BUSINESS SCHOOL OU RIEN !
En 1950, Philippe accompagne Pierre Elliott Trudeau, un voisin de neuf ans son aîné, dans un voyage en voiture qui les conduira jusqu’à la Harvard Business School. C’est une révélation pour Philippe : c’est là qu’il ira parfaire ses études.
Lors de l’entrevue à Harvard Business School, il affirme :
« J’aimerais faire quelque chose pour le milieu d’où je viens. Je veux faire honneur aux miens. Je vais réussir. »
Et s’il était refusé?
« Je vais faire une autre demande. Puis une autre s’il le faut. Jusqu'à temps d’être accepté. C’est ici que je veux venir. »
Il travaille d’arrache-pied et termine parmi les meilleurs de sa cohorte.
ANAM CARA : L’ÂME SŒUR
Dans le restaurant de l’hôtel Snow Inn de Cape Cod, il rencontre une charmante jeune femme prénommée Nan-b. Coup de foudre.
L’entrepreneur en devenir
Philippe est destiné à reprendre l’entreprise familiale qui porte son nom, le magasin Philippe Beaubien & Cie. Mais les conflits avec son père rendent la chose impossible. Encouragé par son épouse, le jeune marié décide de voler de ses propres ailes.
Encore doit-il apprendre à piloter. Et bâtir de bonnes ailes. Il s’initie au monde de la publicité chez Dominion Corset, McCain, puis General Foods. Sur sa lancée, il fonde sa propre compagnie, Distribution Beaubien, qu’il doit vendre. L’apprentissage est ardu, les atterrissages forcés encore plus.
Mais il s’est construit une réputation, et le destin est en chemin.
LE MAIRE D’EXPO 67
En 1964, Robert Shaw lui propose le poste de directeur des opérations de l’exposition universelle de Montréal, qui doit avoir lieu en 1967. À trois ans de l’ouverture, un projet voué à l’échec, selon l’ordinateur de l’université de Stanford. C’est à ce moment décisif que Philippe de Gaspé Beaubien va se révéler. Avec l’équipe des Durs, il fait d’ Expo 67 la « plus grande exposition universelle de tous les temps ».
TELEMEDIA OU L’ART DE CONVAINCRE
Après le triomphe d’Expo 67, les offres affluent. Et pas des moindres. La direction de Radio-Canada. La prise en charge d’un projet immobilier à l’île des Sœurs. Le premier ministre Lester B. Pearson le pressent pour une carrière en politique. Mais l’ex-maire d’Expo veut sa propre entreprise. Absolument.
L’entrepreneur Paul Desmarais lui propose de diriger Telemedia Inc., conglomérat de stations de télévision et de radio dont le fleuron est CKAC. Il accepte à une condition : la possibilité d’acquérir des actions de la compagnie.
BÂTIR UN EMPIRE
Comment acheter une chaîne de stations de radio quand on n’a pas d’argent? La machine à convaincre qu’est Philippe de Gaspé Beaubien se met en marche.
En 1970, l’homme investit seulement 3 % du capital-actions de Telemedia et s’approprie pourtant 85 % des votes... À lui 11 stations de radio, à lui CKAC, à lui le monde. À tout le moins le monde québécois… pour l’instant.
« A mind-boggling deal »
— Charles Lazarus, du quotidien montréalais The Gazette.
« Un empire public pour une chanson », titre Claude Ryan dans Le Devoir.
Philippe est arrivé à ses fins. « J’ai pu finalement, après 13 ans de recherches, avoir ma propre compagnie. Never give up! »
ET QUE ÇA BOUGE!
En 1971, Pierre Elliott Trudeau l’approche : une étude révèle que l’état de santé des Canadiens est inquiétant. Philippe de Gaspé Beaubien met sur pied ParticipACTION.
Philippe commence lui-même à se mettre en forme. Sa femme et lui deviennent des adeptes du jogging.
DEVANCER LA CONCURRENCE
La nouvelle équipe met CKAC et les autres stations sur la carte. Nouvelle musique, slogan tapageur et une véritable innovation : on présentera le bulletin de nouvelles 15 minutes avant l’heure pour devancer la concurrence.
La station diffuse aussi le baseball des Expos.
Après avoir pris possession de plusieurs stations radiophoniques du Québec, Philippe de Gaspé Beaubien en acquiert d’autres en Ontario, soulevant un tollé chez ses compétiteurs anglophones.
ET SI ON TRAVERSAIT LES FRONTIÈRES?
« Quand t’es entrepreneur, tu as ça dans ton sang, c’est comme ça. Tu veux grandir. Et tu peux grandir avec les ressources des autres. Pas juste les tiennes. »
L’homme d’affaires entend parler de la vente de l’édition canadienne de l’hebdomadaire le plus diffusé de l’époque, le TV Guide, qui appartient à l’ex-ambassadeur des États-Unis en Angleterre Walter Annenburg.
Problème? Les 25 millions exigés pour l’achat du TV Guide, Philippe ne les a pas. Il convainc Southam Press, qui est déjà propriétaire du TV Hebdo francophone, de lui avancer les fonds.
« Qu’est-ce que vous diriez si j’achetais le TV Guide et qu’on jumelait les deux publications? Je m’occupe de vendre la publicité en utilisant mes chaînes radio. » Son compétiteur lui prête donc l’argent nécessaire à l’acquisition.
Pour décrire son style de management, le journaliste Charles Lazarus note : “Pick up the ball, and run with it. No matter what”.
Dans les années 1980, Telemedia est propriétaire du plus important réseau de radio privée et devient l’un des principaux éditeurs de magazines au Canada.
RÉFLÉCHIR : SANS FIL
Au début des années 1980, Philippe de Gaspé Beaubien est toujours à la recherche de nouveaux défis. Il décide qu’il va s’accorder du temps pour la réflexion chaque vendredi après-midi.
Au fil de ses recherches, il découvre qu’on développe aux États-Unis la toute nouvelle technologie du téléphone cellulaire qu’il décide d’importer au Canada.
C’est une aventure risquée : un téléphone sans fil coûte la fortune de 2 500 dollars et les réseaux sont à bâtir. En 1984, il s’associe à Sam Belzberg de Vancouver et à Ted Rogers de Toronto pour fonder Cantel. En 1988, Ted Rogers rachète les parts de ses partenaires. La compagnie deviendra Rogers Wireless. Ainsi, en moins de cinq ans, Philippe engrange le plus gros bénéfice de toute sa carrière.
UN EMPIRE EN PARTAGE
En 2000, son empire est désormais constitué de 26 stations de radio à travers le Canada (dont CKAC et Cité Rock Détente), de 17 magazines (dont Elle Québec, Coup de pouce, TV Hebdo, Canadian Living en plus de Eating Well aux États-Unis) et de 24 journaux hebdomadaires.
En 2000, Telemedia vend ses magazines au groupe Transcontinental. « Plus que sa valeur de 255 millions de dollars, la transaction entre Astral et Telemedia fait figure de charnière entre deux époques, souligne Sophie Cousineau de La Presse. La famille vend aussi ses 17 stations de radio du Québec et des Maritimes, prélude au délestage des stations de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. »
LA PHILANTHROPIE : UNE MISSION
En plus de contribuer généreusement au développement de nouvelles technologies pour la préservation de l’eau douce à travers l'organisme AquaAction, Philippe II et Nan-b sont dévoués à aider les familles en affaires, dédiés à la pérennité des entreprises familiales. Family Business Network (FBN), désormais jumelé avec Family Enterprise Foundation (FEF), est un leader mondial dans le domaine. D’ailleurs, à la Harvard Business School, une bibliothèque consacrée aux recherches sur les entreprises familiales porte le nom de De Gaspé Beaubien Reading Room.
Dans le cas des de Gaspé Beaubien, ce ne sont pas que des paroles.
Le plus grand atout de Philippe de Gaspé Beaubien II? Il répondra sans hésiter : « Nan-b, mon épouse ». Dans la vie comme en affaires, trouver une personne qui nous complète décuple les possibilités. Philippe et Nan-b partagent avec nous ce qu’ils ont appris de plus précieux.